
Terres du Seiern, 1760 Hivers après l'unification
Mais maintenant plus aucun regret ne subsistait dans son esprit. Pour un peu il aurait presque cru que sa prière avait été entendue. Il fumait son herbe de Nur accoudé contre le vieux portail de fer quand elle était arrivée. La surprise avait été si grande qu'il avait laissé choir son smök, manquant par la même occasion d'incendier la verte prairie. Ce qui aurait été malaisé à cacher au Kurios, même armé de toute la bonne volonté du monde. Non, définitivement Abendwind ne pouvait déclarer avoir été si charmé par l'apparition de sa future élève qu'il en avait oublié son smök. Aussi avait-il invoqué des trombes d'eau, ce qui après réflexion lui avait paru quelque peu excessif. Après avoir réglé ce menu détail il avait enfin eu l'occasion de la contempler tandis qu'elle approchait.
Elle avait les cheveux couleur de feu, ils tombaient avec de grandes boucles sur ses épaules dénudées, formant un rideau devant ses yeux. Il savait qu'il ne devrait pas être occupé à la fixer. Il aurait déjà du aller à sa rencontre, afin de l'accueillir. Il reste dans l'ombre du portail à observer le moindre de ses mouvements. La jeune fille esquissa un grand sourire, les coins de sa jolie bouche s'incurvèrent, dévoilant des dents immaculées. Sans le moindre doute elle appartenait aux Aristoï. Aucune fille du peuple ne possédait ces dents là.
Elle arrivait à grand pas vers Abendwind, activant prestement ses pieds afin de conserver une vitesse rapide. Rapidement elle fût assez proche pour qu'il puisse sentir son parfum, un mélange d'herbe fraîche et de fleurs sauvages avec des relents de chien mouillé. L'homme aux cheveux blancs eut un instant d'étonnement, comment une jeune fille pareille pouvait-elle sentir le canidé. C'était invraisemblable. Il fronça ses sourcils pâles et se mit à chercher l'auteur de cet effluve. Mais même sous l'intensité des yeux grenat, la plaine resta inexorablement vide. L'herbe émeraude ondulait doucement, pliant sous le souffle d'Odin. De nombreuses plantes parsemaient le sol, aussi bien des fleurs que des buissons ou que des mauvaises herbes. Abenwind plissa les yeux, il lui avait semblé voir une touffe d'herbe bouger l'espace d'un instant, mais sa vue physique ne lui permettait pas d'en distinguer clairement la cause. Dans le doute il regarda à travers l'Arcane, ses yeux devinrent noir l'espace d'un instant, et il put enfin voir le coupable. Il s'agissait bien d'un canidé, un loup haut de trois coudées très exactement. Pas de ceux que l'on trouve habituellement dans les forêts du Seiern. Celui-ci possédaient quelque chose de plus, Abendwind n'aurait su dire quoi exactement. Mais rien que la faculté d'échapper à la vision physique représentait un exploit pour un humain, alors pour un loup... Ce dernier semblait moins pressé que sa maîtresse, il trottinait tranquillement à ses côtés, jetant régulièrement des regards aux alentours. La jeune fille, elle, ne s'attardait pas, on avait l'impression qu'elle participait à un marathon marché. Une petite trotteuse sans hippodrome. Cela n'était pas pour déplaire à l'observateur, elle était bien belle ainsi. Son visage fin tourné vers l'horizon, son regard assuré planté droit devant elle. Ses longues jambes l'amenaient peu à peu au portail, l'homme allait devoir quitter son abri sous peu. Il se tenait toujours contre l'extrémité droite du portail en arrivant. Il sentait la façade crayeuse dans son dos, constituée de pierres irrégulières couleur anthracite. Ces murs avaient été construits dans le but d'y insérer le portail, garant de la sécurité de ceux qui vivaient derrière. Le portail de Blooheart était parmi les plus impressionnants au monde. D'abord parce qu'il faisait la hauteur de quatre humanoïdes empilés les uns sur les autres. Ensuite parce qu'il datait de l'âge sombre. Et enfin parce qu'il constituait l'échantillon de la virtuosité des anciens pratiquants de l'Art. Deux grilles de fer norde habitées par des démons d'antan. En effet, chacune des extrémités de la pièce métallique au lieu de se terminer par une pique, finissait par une figure de démon. Un procédé vieux comme le monde qui empêchait les intrus de passer, d'autant plus que les coulées de fer avaient été renforcées par des sortilèges.
Il allait bientôt faire nuit, Abendwind continuait à la suivre du regard. Bientôt il saurait dessiner son corps les yeux fermés. Sa peau était pâle, pas comme celle d'un cadavre, mais d'une clarté lunaire. On aurait dit qu'elle irradiait de l'intérieur. Avec la tombée de la nuit elle paraissait presque translucide. Cette particularité était de plus grandement accentuée par sa vêture, des habits entièrement noirs, qui formaient un contraste saisissant avec sa peau d'albâtre et en accentuaient la blancheur. La belle inconnue portait une large tunique de couleur sombre qui la couvrait jusqu'à la clavicule et des chausses s'arrêtant au milieu des cuisses. Des vêtements larges, un pantalon court... L'homme eut un soupir de dépit. Une pratiquante de la Science sans aucun doute, ils ne portaient jamais d'habits allant plus bas que le genou afin de ne pas être handicapé lors d'un combat. Pourtant la ceinture qui ceignait sa tunique tendait à penser qu'elle savait manier l'Art. Une lanière de cuir fermée d'une boucle d'argent, dont le contour était orné de symboles rougeoyant faiblement dans la nuit. Les illustrations ne représentaient rien de particulier, des enchevêtrements de lignes et de cercles, probablement des sortes de runes. Et leur luisance indiquait l'existence d'un lien arcanique avec sa propriétaire. Les lèvres blanches d'Abendwind s'incurvèrent en un large sourire, ne restait plus de trace d'une quelconque déception. Il devait s'agir d'une ambidextre... Car le lien runique possédait également un autre office, il permettait de tenir un autre objet. Un fourreau, lui aussi recouvert de runes, qui battait contre sa cuisse droite à chacun de ses pas, comme pour marquer le tempo d'une marche. Cependant même d'ici Abendwind pouvait constater que l'étui était étrangement petit pour une Scienceuse, beaucoup trop fin. Il n'arrivait pas à voir l'arme qu'il contenait, mais voyait clairement qu'elle n'avait rien d'une arme barbare comme l'on trouvait généralement. Celle-ci était fine et élancée, racée. Soit un stylet ou une dague. Un arsenal que tout pratiquant de la Science mépriserait, considérant l'objet ni plus ni moins qu'un simple coupe-papier. De toute façon les Scienceux dénigraient tout objet dont le maniement ne nécessitait pas une grande force. Tel que les hallebardes ou les haches, le plus mince objet communément accepté était la lance, et le plus petit l'épée. Autant dire qu'avec un tel équipement elle risquait fort d'être raillée.
Et si son raisonnement s'avérait exact, qu'elle était ambidextre, il aurait de nombreuses occasions de la contempler à nouveau. Les yeux grenat se voilèrent et une vague de chaleur l'enveloppa. Peut-être n'était-ce pas une si bonne idée que ça... Par Odin le tout puissant, il lui semblait avoir de nouveau quinze ans. Il fallait réellement qu'il se maîtrisa. Il fixa son attention sur les murs de pierres, se concentra sur le vent qui fouettait son visage à intervalles réguliers, imprima dans son esprit la sensation de l'herbe qui s'écrasait sous son poids, admira la superbe f..., la superbe fleur non loin de lui. Une daphnée blanche, dotée d'une tige vert jade et d'une corolle blanche piquetée de gris. Magnifique, réellement. Néanmoins il préférait largement le rouge vif au blanc fade, et justement il y avait un bel exemple de rougeur. Il releva la tête, ses cheveux sans teinte se remirent instantanément derrière ses oreilles pointues, libérant son visage à la pâleur cadavérique et ses yeux pensivement posés sur la jeune fille, qui n'allait pas tarder à atteindre de le portail.
Maintenant il voyait distinctement le canidé et avait changé d'opinion quand aux potentielles railleries. Quiconque susceptible de voir le grand loup à ses côtés y penserait à deux fois avant de la dénigrer. D'abord parce que l'animal était grand, très grand, même pour un membre de sa race. Il atteignait aisément la taille d'un petit humain. Et son pelage était sombre, d'un noir velouté avec des reflets argent. Une fourrure à sans nul autre pareil, d'autant qu'elle se targuait d'un autre élément remarquable. Sur son épaule gauche était tatoué un pentacle rouge, une étoile à cinq branches, semblables à celles utilisées par les pratiquants des Arts obscures. La rousse portait autour de son cou nacré un cordon de cuir noué qui retenait un signe semblable à celui de son seigneur de la nuit. Etrange, car aucun d'eux n'avait véritablement l'aspect qui seyait à cette pratique. Les deux seuls autres bijoux qu'elle portait consistaient en un bracelet finement ciselé refermé autour du poignet et en une bague ornée d'un rubis rouge sombre passée à ses doigts arachnéens. Ils contrastaient étrangement, la lune et la nuit marchant ensemble, un feu éclatant aux cotés des ténèbres les plus profondes. Si leur physique respectif contrastait, il n'en était rien de leur psychisme. Il régnait entre eux une compréhension mutuelle forte, ils marchaient allègrement l'un à côté de l'autre. Le loup ralentissait parfois le pas, permettant à la jeune fille de le rattraper. Ils prenaient toujours exactement le même chemin. En vérité on aurait dit qu'ils n'avaient pas besoin de parler pour s'accorder, comme s'ils lisaient dans leurs pensées mutuelles. Et après réflexion Abendwind se dit que c'était bien l'hypothèse la plus probable. Jamais le Kurios n'aurait accepté un simple loup dans l'Akademos sans une bonne raison.
Ils traversèrent le portail. La jolie rousse et son associé allaient arriver à sa hauteur sous peu. Abendwind se redressa, plaqua un large sourire sur son visage et sortit de l'ombre du fer. Ils s'aperçurent enfin de sa présence et leur regard se posa sur le professeur aux cheveux décolorés. La future élève releva sa jolie tête, et plongea les yeux dans ceux de l'homme. Ce dernier qui affichait une expression assurée fut pris de stupeur, ses propres grenats s'écarquillèrent. Non pas que la vue fut laide, non, comme le reste de sa personne, elle était agréable, mais stupéfiante. Ils étaient tout proprement magnifiques et possédaient une extraordinaire caractéristique. Des yeux vairons, une particularité si rare. Le gauche était gris comme l'acier et le droit noir comme l'ébène. Pourtant il ne donnait pas l'impression d'être vide, ce qui était souvent le cs avec les yeux aussi sombres. Celui-ci semblait habité par une flamme, un feu dansant. Abendwind reprit le contrôle de son corps, savourant plus que jamais les teintes si hétéroclites. Ainsi de nombreux schmöls s'expliquaient Evidemment... une Héritière... L'homme adressa une nouvelle prière au ciel, muette cette fois ci.
Faites que ce ne soit pas elle. Ô je vous en prie, faites en sorte que ce ne soit pas elle. Sincèrement, je n'ai jamais eu de chance en amour, alors soyez clément, pas elle !
Il concentra à nouveau son attention sur celle qui lui faisait face en espérant que son panthéon l'avait entendu. Si ce n'était pas elle, parfait. Et si c'était elle... dommage... Elle était réellement superbe pensa tristement l'homme. Il n'aurait pas été contre la perspective d'effleurer ces jolies lèvres vermeilles. Malheureusement il existait de grandes chances qu'il n'en eut jamais l'occasion... Un soupir involontaire sortit de sa poitrine. La rousse le détaillait avec acuité, le jaugeant du regard. La voix d'Abendwind sortit enfin de sa gorge pour résonner, comme un glas, alors que le portail se refermait :
« Puisse tes années passer et ta magie ne jamais s'épuiser, Bienvenue à Blooheart Pyrrha Torkann »
Le tocsin a sonné, petite fille, cours te mettre à l'abri. Ou il deviendra glas.
Elle sourit à l'homme aux cheveux blancs et repartit, laissant le portail et son gardien derrière elle.

Pyrrha avait eu un instant d'hésitation avant de traverser le gigantesque portail de fer. Une sorte d'intuition. Et maintenant elle n'était pas certaine de bien assumer son acte. Par Hadès, qu'elle détestait les portails grinçants... Elle réprima un frisson qui menaçait de courir le long de sa colonne vertébrale et s'engouffra dans le chemin qui devait la mener à sa destination. En d'autres occasions, elle se serait extasiée sur la beauté du lieu : l'herbe émeraude, le crépuscule qui tombait sur la terre, les grands arbres qui formaient l'allée... Le paysage était entretenu régulièrement, et cela se remarquait. Les buissons de myrte en bordure du terrain étaient tous parfaitement égalisés, et pas une once de poussière de ne s'échappait du chemin de terre. Une plaine verdoyante qui s'étendait à perte de vue, à tel point qu'on ne savait plus très bien où poser le regard. Les reliefs peu marqués permettaient de voir l'horizon et d'assister au coucher de soleil. Que d'éléments fabuleux, et bien trop de détails à observer. Mais elle avait finalement réussi à concentrer son attention sur un point précis. Première fois depuis son arrivée dans la prairie. Le garçon qui lui avait fait face : assez beau, des traits fins et des cheveux décolorés parsemés de mèches incarnates, il lui avait souhaité la bienvenue. Assez étrange mais tout à fait à son goût. Seulement elle n'avait pas pu rester plantée devant lui à l'observer tout son soûl comme une blakas, et avait continué son chemin avant de devenir rouge comme un homard à force de l'admirer.
En tournant son regard vers la ligne d'horizon, après quelques pas, elle put apercevoir un gigantesque édifice. Il ressemblait à un château de l'ancien temps, fait d'une pierre grise qui s'effritait par endroits, et doté de trois grandes tours qui semblaient s'élever jusqu'au ciel, comme si les architectes avaient désiré les voir transpercer les nuages. Il émanait de cet endroit une aura étrange.
Pyrrha avait rarement eu l'occasion de sentir autant d'Arts différentes rassemblées en un même lieu. Depuis toute petite, elle avait été entrainée à sentir les flux arcanique, et à remarquer leur différences afin d'être capable sans invocation de les attribuer à leur propriétaire. Chacun pratiquant de l'art possédait son propre flux, il était unique. Chacun avait son propre style, sa propre manière de calligraphier, de marcher, de parler, il en était de même pour l'affinité arcanique. Un flux arcanique avait plusieurs caractéristiques, comme la couleur, la forme ou la puissance. Puissants, certains de ceux qui provenaient du château l'étaient. Certaines de ces particularités étaient aisées à distinguer, telles que la forme ou la couleur, il suffisait d'ouvrir les yeux. Avoir suffisamment de connaissances pour jauger la puissance restait plus délicat. En réalité le seul moyen de définir l'échelle de pouvoir reposait sur un simple ressenti dont la forme changeait chez chacun. Pyrrha avait su développer une sensibilité suffisante pour savoir départager en quatre catégories : les néophytes, les apprentis, les connaisseurs et les maîtres, mais il restait des subtilités qu'elle n'atteignait pas. Elle se basait sur "l'agressivité" de l'Arcane. Selon si l'Art était rêche, doux, granuleux, lisse ou acéré. Elle savait différencier les psychismes comme d'autres savaient le faire des tissus. Certaines personnes arrivaient à aller jusqu'à savoir quel type d'Art l'on pratiquait régulièrement. Son ressenti n'allait pas jusque là, il était cependant suffisant pour qu'elle sente la kyrielle de flux provenant du château. La plupart étaient doux, ils glissaient sur sa peau sans y accrocher, une sensation fort agréable. Elle ferma ses paupières avec contentement, elle avait l'impression de nager dans un bain d'Art. En constatant qu'elle avait arrêté de marcher son compagnon stoppa ses sautillements et entreprit de la sortir de sa torpeur à l'aide d'un grognement appuyé :
« Fais attention Pyrrha, ça pue la mort là-bas. Humpf, j'avais dit à ton père que c'était une mauvaise idée.
— Je sais Nef. Arrête de râler un instant tu veux, je n'y suis pour rien moi. »
Pyrrha regarda avec affection le loup qui marchait à ses cotés. Il était réellement magnifique avec sa fourrure noire, pourpre au niveau du collier. Doté sa démarche de seigneur de la nuit véritable il en impressionnait plus d'un, y compris parmi ceux qui travaillaient avec son père. Quand celui-ci avait annoncé à sa fille qu'elle allait finir ses études à Blooheart, Pyrrha s'était réjouie. Blooheart était l'un des meilleures Akademos de tout le continent.
Pyrrha avait seize ans et pourtant n'avait jamais été a l'école, ayant toujours étudié avec son père. En fait il y avait bien une raison pour laquelle il n'avait jamais été question d'Akademos auparavant. La famille d'Ars, vouée au combat et aux batailles de part son allégeance, n'avait jamais compté de membre susceptible de pratiquer l'Art. Durant les derniers siècles ils avaient perfectionné leur art du corps à corps, or nul n'était mieux désigné pour enseigner la Science qu'un D'Ars. Pyrrha, en tant qu'Héritière, n'avait donc pas eu besoin de partir pour apprendre. Car pour les matières telles que l'histoire ou l'étude des runes il suffisait de quelques livres. Toute son enfance avait donc été partagée entre cours magistraux et enseignement de la Science. Elle savait manier aisément la plupart des types d'armes existant. Cependant, n'étant pas un homme – on ne pouvait pas tout avoir – son arsenal avait été restreint. Il y avait des armes qu'elle éprouvait une grande difficulté à man½uvrer car trop encombrantes ou trop lourdes.
En vérité il était quasiment impossible pour une femme du nouveau monde de combattre avec certaines armes. La hache par exemple, ses bras fins arrivaient tout juste à la soulever assez pour la sortir du râtelier. Il en était de même pour le marteau, et la masse d'arme qui lui avait été interdite pour d'autres raison, plus matérielles. La seule fois où son instructeur l'avait autorisé à se battre avec l'objet en question n'avait pas été glorieuse, loin de là. Pourtant elle avait saisi l'objet avec moult précautions, le soupesant quelques instants avant de le mettre en action. Il était d'un poids raisonnable, constitué d'une grande tige de bois raccrochée à une chaine qui trainait un boulet à piques. Pyrrha avait pris son élan, soigneusement lancé l'extrémité de l'arme sur son côté droit, comme on le lui avait enseigné afin qu'elle évita de se blesser. Et effectivement il ne lui était rien arrivé ce jour là, c'était le pied de son précepteur qui en avait été pour ses frais. La jeune fille avait mal calculé son élan et s'était retrouvée à tourner comme une toupie. Une toupie tourbillonnant avec une boule à pointe, qu'elle avait finie par lâcher. Elle avait battu son premier et unique record en poids lourd, la masse d'arme avait atterrie à quelques coudées de là, sur le pied de Dramir. Il avait passé une bonne semaine à boiter misérablement. Curieusement à partir de ce jour là on lui avait poliment conseillé de se cantonner aux armes de moindre calibre, tel que le couteau par exemple.
Cependant un évènement inattendu s'était produit. Son père découvrit avec étonnement qu'elle avait également accès l'Art, qu'elle pouvait domestiquer ses arcanes. Il avait appris la nouvelle avec un calme olympien, avait fait renforcer toutes les structures du château, consolider les portes et les murs, et entrepris de lui enseigner les rudiments de l'Art. Pyrrha avait donc passé son enfance dans la maison de ses ancêtres. Elle avait eu des précepteurs, évidemment. Elle devait être de niveau équivalent à ses futurs condisciples dans la plupart des disciplines. Avec une très bonne maîtrise de la démonologie et des langues démoniaques, ce qui pouvait se révéler essentiel dans la vie d'un invocateur. On ne s'imaginait pas le nombre de nécromants qui avaient fini leur vie bêtement, en inversant deux syllabes dans une invocation ou en lisant trop distraitement un contrat. Qui aurait cru que les mots servitude, Rish'al, et meutre, Rish'aral se ressemblaient autant. Humour démoniaques probablement.
Ce système d'apprentissage avait parfaitement fonctionné durant des années. Mais le jour était arrivé où les types d'Art devant être connus avaient dépassé les connaissances de son professeur. De plus il lui fallait son diplôme, qui pouvait être obtenu uniquement dans une Akademos. Le système faisait que si on voulait devenir quelqu'un, il fallait obligatoirement passer par une Akademos. Ainsi fonctionnait le nouveau monde. D'ordinaire le lien avec l'Art se déclarait pendant l'adolescence, l'âge des premières années se situait généralement autour de douze ans. Après avoir questionné son instructeur il avait été décidé d'un commun accord qu'étant donné son niveau, Pyrrha pouvait passer directement en sixième année. En effet, la magie l'avait reconnue alors qu'elle allait sur ses neuf hivers. Elle était bien jeune alors, un peu trop probablement d'ailleurs. Après plus de sept hivers l'intégralité du château s'en souvenait encore, certains avec affection, d'autres étaient plus partagés. La rousse, elle-même, souriait encore béatement en y repensant. Il existait certaines choses dans ce bas-monde pour lesquelles on ne pouvait se résoudre à l'oubli.
Ce soir là, la pluie tombait dru. Pyrrha était couverte de boue et Dramir furieux. Elle avait lâché son épée durant l'entraînement, une fois de plus, et il s'était mis à pester. Un sentiment d'impuissance l'avait alors envahie, elle avait baissé la tête, désirant cacher les larmes qui commençaient à se former. Elle n'arriverait jamais à manier correctement cette épée. Elle était fatiguée et elle avait faim. L'enfant aurait voulu jeter l'épée au loin, ne plus jamais avoir à s'en servir. L'arme était trop lourde, même à deux mains elle peinait à la soulever. La poignée de métal lui tordait le poignet et engendrait la formation de crampes dans ses doigts fins. Et Dramir continuait de hurler, il l'incendiait alors qu'elle faisait de son mieux depuis cinq phaétons au moins. Il ne comprenait pas qu'elle ne pouvait tout simplement pas le faire. Elle était bien trop éreintée, et après tant d'acharnement le bois glissait sans cesse entre ses mains moites. Après tant d'exercice elle avait craqué et elle venait de lâcher sciemment son épée. La jeune épéiste avait voulu que son instructeur comprenne, qu'il comprenne qu'elle était à bout de force. Mais cela n'avait fait qu'augmenter encore plus l'énervement de Dramir, il lui en voulait d'avoir laissé choir l'épée. Le ciel semblait vouloir refléter son état d'esprit, une tempête se préparait à l'horizon. Déjà le vent forcissait, cinglant régulièrement le visage de la petite, il l'empêchait de voir, ramenant sans cesse ses longs cheveux devant ses yeux. Les arbres s'agitaient, leurs feuilles produisaient un vacarme épouvantable. Regrettant son geste, la rousse avait ramassé son arme à contrec½ur en reniflant misérablement. Et alors que Pyrrha avait saisi à nouveau la fine épée de bois tombée dans l'herbe, la foudre était tombée du ciel et avait enflammé un buisson à quelques mètres des combattants. La jeune fille avait tenté une attaque en sixte droite en pliant les genoux rapidement. Elle avait lancé son pied droit en une tentative de le déséquilibrer, s'était positionnée en fente, une jambe repliée et l'autre lancée en avant et avait allongée le bras vers le pourpoint de son adversaire. Dramir l'avait parée une fois de plus, déviant la lame grâce à une simple parade de sixte, et avait riposté violemment, lui enfonçant le plat de son épée dans le plexus solaire. Elle n'avait pas eu le temps de réagir et s'était retrouvée les fesses dans le buisson voisin. Délicieuse plante qui poussait à foison au Seieirn et qui était essentiellement constituée de ronces épineuses. En réalité elle n'avait pas eu le temps de contempler le végétal, elle l'avait surtout senti. Ses yeux avaient été occupés à distinguer avec effarement les flammes qui l'avaient entourée en tombant. De véritables flammes, chaudes, passant du rouge au bleu, crépitantes sous la pluie, et qui commençaient déjà à carboniser l'épée et les ronces.
La dernière chose qu'elle avait vue avant d'être engloutie sous le feu avait été le visage horrifié de Dramir. Après le premier instant de panique, réaction naturelle face à une situation inhabituelle, elle avait pu constater que la chaleur ne lui causait nul préjudice. Elle sentait le feu qui l'enveloppait pourtant, elle ressentait la douce chaleur qu'il lui prodiguait. Pas de morsure brulante, nulle brûlure, juste une caresse contre son visage. L'élément la prenait dans ses bras, il lui frôlait gentiment la joue, là où les larmes avaient coulées. La rousse ouvrit de grands yeux étonnés, elle avait l'impression qu'il cherchait à la réconforter, la berçant tout doucement en son sein. Il la protégeait, il l'éloignait de la colère de Dramir. Immédiatement Pyrrha s'apaisa, une telle explication n'était pas invraisemblable pour une enfant de neuf hivers. Elle se mit à rire en admirant béatement les nuances que prenaient le feu, un petit son cristallin, le chant d'un oiseau qui annonçait l'aurore. Une sensation de bien-être l'avait envahie. Lentement elle s'était redressée, toujours aussi éberluée d'un tel miracle, et était sortie du buisson incandescent. Son instructeur l'avait regardée, les yeux ronds comme des arènes. Pour cause, le feu n'avait pas adhéré à ses vêtements de lin comme il aurait du le faire. Il ne restait pas la moindre trace d'une quelconque flammèche sur sa vêture, et aucun n'en avait gardé l'empreinte. La seule odeur de souffre existante provenait du buisson, presque entièrement calciné. Et, le plus incroyable de tout, une flamme dansait au dessus de la paume de sa main, se jouant de la pluie, alors que déjà, le buisson s'éteignait.
Décidant que l'explication logique et précise de l'incident pouvait attendre, Dramir avait piqué un sprint monumental en direction de la maison. Ce qui, pour un homme engoncé dans une lourde armure de plaque et portant de solides bottes n'avait pas été un mince exploit. Il s'était précipité dans le salon, dégoulinant de terre humide, sous les yeux ébahis du père de Pyrrha. Il avait pris une carafe, sans stopper sa course. Une charge épique qui avait été terminée au moment où il était entré en collision avec l'intendant, le pauvre Erof qui passait inopportunément par là. En réalité, celui-ci étaient en train de pister le responsable des traces boueuses qui constellaient le parquet ancien. Ce dernier datait d'il y a quelques centaines d'hivers et avait été installé là par le très estimé arrière-grand-père de Pyrrha, Sejer Torkann.
L'intégralité de la maison avait donc pu entendre un petit bonhomme trempé et écumant de rage passer un savon à l'instructeur tout de plaque vêtu. Lequel qui, dans le feu de l'action, avait jeté le contenu de la carafe sur la silhouette surgissant devant lui.
Résultat, Dramir avait dut nettoyer intégralement le sol sous le regard lourd de reproches du cher homme. Dans le même temps, Pyrrha était rentrée dans la maison avec sa main flamboyante, ignorant l'état des choses et regardant sa main avec enthousiasme. Hopia, la cuisinière, l'avait vu traverser la pièce dans cette état et en avait lâché son rôti, qui s'était écrasé sur le parquet, et s'était précipité vers le salon. Tout aurait pu bien finir si Erof n'était pas revenu à ce moment là. Son beau sol était plein de friture et là, s'en avait été trop, il vait craqué, tout simplement. Pas au sens propre évidemment, mais son visage était devenu violet et sa bouche s'était ouverte pour balbutier des bribes de paroles avant de se refermer. Il avait laissé Pyrrha plantée là lui aussi, et était parti, tel un dieu vengeur. Pyrrha avait eut la très nette impression d'entendre un rhinocéros charger dans le couloir.
Son père qui lisait tranquillement dans le salon avait commené à trouver que décidément, les gens étaient bien énervés aujourd'hui. L'avenir lui avait donné raison, il s'était retrouvé avec un instructeur très embêté et couvert de boue, un intendant trempé et écumant de rage, une cuisinière racontant une sombre histoire de rôti, de feu et de main et une fille dont la main droite s'était transformée en torche. Le pauvre homme avait sentit une migraine pointer et avait ordonné à tout le monde de se calmer, sous menace d'un séjour au sous-sol.
C'est ainsi que la jeune fille avait découvert son affinité avec le feu. D'où sa présence dans cet Akademos. Au Seiern, chaque enfant qui développait un lien avec un élément particulier se devait d'aller faire ses études afin de contrôler cet élément et d'éviter les inondations, les tremblements de terre, ou dans le cas de Pyrrha, les démonstrations de pyrotechnie.
Elle continua à avancer sur les pierres rectangulaires du chemin et peu à peu, le bâtiment s'agrandit, se dévoilant à son regard. Il la surplombait, maintenant. Le bâtiment était découpé par de nombreuses fenêtres, recouvertes de tentures sombres, probablement pour cacher l'intérieur aux éventuels curieux.
Les blocs de pierre anthracite étaient fissurés par endroits, ce qui permettait de situer l'édifice chronologiquement. Ce n'était donc pas une copie, il datait réellement de l'ancien temps. La jeune fille regarda avec révérence l'ensemble architectural. Il devait avoir été construit il y a des centaines d'hivers de cela.
Pyrrha admira avec respect l'architecture du château. De hauts murs entrecoupés de plantes grimpantes qui formaient un ensemble de cinq bâtiments reliés les uns aux autres par de longs couloirs. Le bâtiment de forme rectangulaire au centre devait être le lieu principal et ses extensions des ailes très certainement. La rousse se hissa un peu plus sur la pointe des pieds, enfonçant ses bottes beiges dans la terre humide. L'ensemble devait bien atteindre une superficie supérieure à plusieurs toises.
Combien de fois lui avait-on parlé de cet endroit. Elle le parcourait avec des yeux émerveillés, s'extasiant sur la roche polie qui en constituait la façade, sur les chemins de ronde qui faisaient le tour du lieu. Sur le toit de chaque aile était placée une tourelle. Chacune abritant un orbe lumineux, le seul moyen de se repérer aux alentours du château durant la nuit. Fait singulier, les orbes étaient toutes de couleurs différentes. La plus proche de Pyrrha luisait d'une clarté opalescente, faisant concurrence à la lune. Celle à sa droite avait des nuances proches de l'émeraude. Celle de gauche flamboyait d'un rouge vif, vivante flamme. Et la plus éloignée dispensait une lueur froide, dans les tons bleu-gris. Etrange façon de disposer des éclairages, pensa la rousse. Quelle idée de mettre des couleurs différentes...
" Ce doit être pour distinguer les points cardinaux Pyrrha... " Constatant le plissement de front de son associée il s'expliqua plus avant. "Il suffit de savoir à quelle orientation chaque tour correspond." La jeune fille le regarda d'un air perdu. Dire qu'elle était censée savoir diriger une armée à partir d'une carte... Nefren plaignait les malheureux qui seraient un jour sous son commandement. S'il avait pu il se serait massé les tempes, une pratique humaine qui lui semblait extrêmement délassante dans les moments semblables. Le père de Pyrrha, Rolf, affectionnait particulièrement ce geste. "Par exemple si tu sais que la tour rouge correspond au sud, et que tu vois le bleu à ta droite, la jaune à ta gauche, et que la rouge cache partiellement la verte. Eh bien tu sais que tu vas en direction du nord et que tu arrives du sud. Ce n'est pas très compliqué, à peine digne d'un louveteau...".
Pyrrha hocha vivement la tête, marquant son approbation. Quoi que l'on en dise, la meilleur tactique lorsque était ignorant restait de faire comme si l'on était sachant. Voyant que le loup restait sceptique elle détourna prudemment le regard, détaillant avec application le reste du parc. À gauche, un lac sombre et opaque, mais qui devait être habité d'après les sillons que l'on voyait à la surface. En regardant plus attentivement, Pyrrha aperçut des éclats argentés. Il devait y avoir des blubs sous l'eau. De l'autre côté se tenait une grande forêt composée de conifères géants.
« Hum, en fait je pense que je vais me plaire ici ! Il doit y avoir des biches la dedans.
— Nef ! J'aimerais bien qu'on ne fasse pas mauvaise impression dès le premier jour. Tiens-toi correctement s'il te plaît ! »
Nefren gémit.
« Mais... ce n'est pas ma faute si j'ai besoin de chair fraîche pour survivre ! »
Pyrrha lui répondit d'un ton excédée :
« Arrête Nef, on va être en retard. Il faut y aille ! »
Elle pressa le pas et arriva devant une large porte bardée de fer. Dans le métal étaient gravées des runes de protection qui brillaient d'un éclat doré. Leur intensité variait et elles semblaient pulser, comme un puissant battement de c½ur. La porte était en ébène avec des armatures d'argent.
Pyrrha engloba une dernière fois ce qui allait être son habitat durant les prochains hivers. Blooheart... Blooheart... Combien de fois lui en avait-on parlé. L'Akademos où tous les grands seigneurs du nord étaient allés, l'Anax lui-même y avait étudié. Près de six cents hivers que la gigantesque bâtisse se dressait, accueillant chaque année les enfants des Aristoï. Depuis tout ce temps le lieu d'enseignement par excellence. Celui par lequel tous les Héritiers passaient, et elle allait être la première de sa maison à y entrer. La rousse se sentait plus vivante que jamais. L'Akademos dont on disait que tous en ressortaient transformés. Un des endroits le plus mystique de tout le nouveau monde, qui rassemblait les meilleurs pratiquants de l'Art. Le c½ur de Pyrrha s'emplit d'une joie pure. Peut-être allait-elle rencontrer les autres Héritiers. Elle allait savoir ce que c'était d'être entourée par autre chose que d'honorables généraux porteurs de monocle. Des amis, oui, plus de solitude. C'était une nouvelle page qui s'ouvrait devant elle.
Les mains tremblantes d'un subtil mélange d'excitation et d'appréhension la jeune fille poussa un des battants et pointa le nez à travers l'ouverture, découvrant ainsi le décor de sa nouvelle vie.

Jade-et-Camille, Posté le mardi 01 juillet 2014 10:20
Bonjour ! Après une très longue attente (dont nous nous excusons sincèrement), je viens répondre à ta demande d'inscription sur notre répertoire. J'ai le plaisir de t'annoncer qu'elle est acceptée. Tu recevras donc bientôt un message concernant les dernières formalités.
Amicalement,
Jade et Camille.